CRÉATRICES DE BANDE DESSINÉE CONTRE LE SEXISME
Il m’est plusieurs fois arrivé de participer à des conférences autour de « l’écriture au féminin ». Je me suis rendu compte, a posteriori, que ce thème a participé à entretenir chez moi des pensées inconscientes puis conscientes, et à influencer le discours et les attentes des lectrices. Oui, ce qui est plus grave encore, chez les femmes qui lisent.
– Ma première pensée était mon manque de légitimité en tant qu’auteure universelle. Par cela j’entends, que les hommes en littérature sont universels, c’est à dire qu’il est admis qu’ils peuvent embrasser tous les thèmes ou personnages et s’adresser à tout le monde.
Cette idée répand, inconsciemment, dans l’esprit des lectrices que les œuvres des femmes doivent répondre à certains critères. Je me souviens m’être faite engueuler par des lectrices car Zoltan Soloviev (le personnage de mon second roman) n’était pas conforme à l’idée qu’elles se faisaient d’un homme sous la plume d’une femme. « Comment avez-vous pu écrire ça ? » était la question la plus récurrente des lectrices qui avaient aimé mon premier roman. Elles clarifiaient leur propos en me signifiant qu’en tant qu’auteure, j’aurais dû écrire un séducteur bienveillant et protecteur et non pas un homme incertain, engoncé dans ses doutes. Vous pensez bien que j’ai été la première surprise.
– La deuxième pensée était un manque de légitimité à écrire l’Autre, en particulier l’homme. C’est à dire qu’en tant que femme on me retirait le droit à écrire JE avec la voix d’un personnage masculin. Malgré le célèbre « Madame Bovary c’est moi » de Flaubert, moi je n’avais pas droit à un « Monsieur Soloviev c’est moi ». Plusieurs fois il m’a été dit que je ne pouvais pas être l’auteure de l’Incertain (livre où Zoltan raconte sa vie), qu’une femme ne pouvait pas se glisser si bien sous la peau d’un homme. Lorsque j’argumentais en expliquant que si elles avaient acheté mon deuxième livre et que nous en discutions, c’est qu’elles avaient aimé le premier dans lequel plusieurs personnages masculins étaient déjà présents. Il m’était répondu que dans le second livre j’utilisais le JE pour faire parler Zoltan. J’étais autorisée à décrire l’homme, pas à l’incarner. Ce qu’il y a de drôle dans cette expérience, c’est que les hommes ont adoré ce livre…
– La troisième pensée, qui découle des deux précédentes (de l’universalité et de l’autre), a été de me reprocher le choix d’un des thèmes du livre. Zoltan Soloviev, vit une partie de sa vie dans le milieu homosexuel masculin new-yorkais des années 30. S’il était encore supportable que j’écrive un homme en disant JE et qu’il ne soit pas conforme aux critères attendus, l’entourer d’amis homo et le faire s’interroger sur sa sexualité, là, c’était infranchissable pour nombre de lectrices, de journalistes et de critiques (même si ce passage ne couvre qu’une page des 411 du livre). Pire encore que d’incarner un homme, je le rendais sexuellement flou… Hahaha ! Avec ça, le peu de légitimité qu’il me restait était vaporisée à la flamme des représentations grâce auxquelles on classe les gens, les genres et toute l’humanité !
Bon, ce qu’il y a de bien dans cette expérience est que l’inconscient est devenu conscient et qu’on ne me voit plus rester passive dans une conférence sur « l’écriture au féminin » !
En ce qui concerne les journalistes qui animent ces débats, je dirais qu’ils souffrent plus d’un manque d’imagination et de panurgisme que de mauvaise intention.
Ma dernière conférence sur « l’écriture au féminin » s’est soldée par une révolte passive des invitées dont je faisais partie. Avant la rencontre, Zoé Valdes, Isabelle Alonso, Khadi Hane et moi avons décidé de refuser le thème qui nous était, une fois de plus, imparti. Arrivées sur scène, nous avons expliqué aux auditeurs que nous étions réunies autour d’une idée absurde et que nous allions présenter nos livres et exposer nos recherches personnelles autour de la mort d’un parent (père ou mère selon les auteures réunies ce jour-là), puisque nos livres, chacun à sa façon, traitaient de cela. La réaction du public a été chaleureuse, ponctuée d’applaudissements. La journaliste (et oui, une femme) a été reléguée à passer le micro.
Dans la poursuite de ma révolte passive (disons, celle de mon quotidien), lorsque j’ai présidé un jury littéraire, j’ai caché le nom de l’auteur d’un bout de scotch opaque, afin de n’être pas influencée, d’une manière consciente ou inconsciente, dans ma lecture. Vous savez quoi ? Je n’aurais pas su dire si je lisais une femme ou un homme et après quelques pages, mon cerveau oubliait de chercher à qui j’avais à faire, pour se laisser embarquer par les mots d’inconnus.
Je pense donc, qu’une manifestation autour de la bande dessinée féminine est un usage commode pour les organisateurs, mais réducteur pour les auteures et particulièrement dangereux pour les visiteurs. Comme je l’ai constaté, ce thème du féminin dans l’art ancre de manière consciente dans les (nos ?) esprits qu’une différence fondamentale existe entre les livres des femmes et ceux des hommes, et de manière inconsciente que les femmes sont moins universelles et moins autorisées…
Virginie Ollagnier